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Le Point - Publié le 06/02/2015 à 08:31

L'anthropologue et historien français Emmanuel Todd juge que, dans le contexte actuel en France, blasphémer l'islam revient à humilier les faibles de la société.

 

 

L'anthropologue et historien français Emmanuel Todd a confié au quotidien japonais Nikkei être mal à l'aise avec le mouvement "Je suis Charlie", né en France après l'attentat contre Charlie Hebdo, jugeant que les caricatures de Mahomet humilient les faibles de la société. "Il y a un grand écart entre ce qui se passe actuellement en France et ce que je pense", a déclaré Emmanuel Todd au correspondant du Nikkei à Paris. "En France, si on ne touche pas à une personne en particulier, on considère qu'il est possible de tout caricaturer. Avant l'attentat, je critiquais les dessins satiriques de Charlie Hebdo. Je ne peux donc pas être d'accord avec la sanctification de cet hebdomadaire qui a publié des caricatures obscènes du prophète Mahomet", a-t-il ajouté, selon des propos rapportés en japonais. Selon lui, près de quatre millions de Français qui sont descendus dans la rue le 11 janvier, quatre jours après l'attentat qui a décimé Charlie Hebdo, ne sont pas représentatifs de la société française : "Beaucoup appartiennent à la classe moyenne, mais les jeunes de banlieue (dont beaucoup d'origine immigrée) et les classes ouvrières, eux, n'y étaient pas", insiste Emmanuel Todd, que cette situation inquiète.Il pointe en outre les inégalités dont sont victimes les immigrés et leurs enfants, "qui ne peuvent recevoir un enseignement suffisant et ne trouvent pas de travail en période actuelle de crise économique. Une partie d'entre eux aspirent ainsi au radicalisme du groupe État islamique". "Ce qu'on voit dans les banlieues de nos grandes villes, c'est la plus récente expression de la crise que doivent affronter les sociétés d'Europe de l'Ouest. Les jeunes musulmans qui vivent dans les banlieues sont des Français nés en Occident. L'absence de perspective d'avenir est une des causes de l'aliénation de ces jeunes. Et l'Europe de l'Ouest ferme les yeux sur son propre problème", souligne encore Emmanuel Todd. "Se moquer de soi-même ou de la religion d'un ancêtre est une chose, mais insulter la religion d'un autre est une histoire différente. L'islam est devenu le support moral des immigrés de banlieue dépourvus de travail. Blasphémer l'islam, c'est humilier les faibles de la société que sont ces immigrants", juge le démographe.

 

Karima Delli Députée européenne EELV

L'Europe comme remède à l'"apartheid"?

POLITIQUE - Ce jeudi 5 février, François Hollande s'exprime sur les « valeurs républicaines » et doit faire des annonces sur les banlieues, l'éducation et la jeunesse. Le 20 janvier dernier, quelques jours après les attentats, c'était Manuel Valls osait le mot d' « apartheid » pour illustrer la situation d'un grand nombre de territoires de notre pays.

Au-delà des termes choisis par le Premier ministre, ce qui est choquant, c'est l'image que continuent d'envoyer aux habitants des quartiers populaires les politiques et les institutions officielles de la République. Ces quartiers se considèrent encore majoritairement aujourd'hui comme les « territoires oubliés de la République », et on ne peut pas tout à fait leur donner tort.

Car depuis 30 ans, de politiques de la ville en politiques de la ville et de ministre en ministre (17 en charge de « la ville » depuis Michel Delebarre en 1990), à gauche comme à droite, les politiciens bricolent avec les quartiers pour mettre en scène leur volontarisme et leur capacité à ne pas laisser s'installer des « ghettos » dans notre bonne vieille République censée une et indivisible, sans jamais réellement écouter les premiers concernés, les habitants.

L'échec est patent. Le débat se tend en effet en France et nous faisons mine de le découvrir dans des stades lors de l'hymne national ou dans des établissements scolaires, quand des élèves refusent de se proclamer « Charlie ».

Mais il y a bien plusieurs vitesses dans notre République, malgré ses belles promesses de liberté, d'égalité et de fraternité. Certains continuent de stigmatiser, diviser, opposer les uns aux autres en faisant généralement une fixation sur l'Islam, comme en témoigne l'augmentation des actes racistes et les scores extrêmement hauts du Front National ou encore les ventes du pamphlet paranoïde d'Eric Zemmour. Si l'on y ajoute les attentats, tous les ingrédients sont réunis pour une nouvelle explosion sociale. Or que fait concrètement l'ensemble de la classe politique pour y remédier ?

On se souvient des révoltes sociales de 2005, de celles des années 90, à Vaulz-en-Velin et ailleurs, des films La Haine ou Ma 6-T va crack-er, de la Marche pour l'égalité et contre le racisme de 1983, des violences policières qui les ont toujours accompagnées, etc. Rien n'a foncièrement changé. Les « banlieues » de la République (éthymologiquement « lieux du bannissement ») continuent d'être l'inconscient obscur de notre pays, et ses habitants d'y subir en permanence, quels que soient leur parcours, leur identité, leurs origines, etc., l'injonction à se positionner entre assimilés sans histoire ni racines ou ennemis de l'intérieur. Choix cornélien.

Or, la réalité économique et sociale d'un certain nombre de quartiers est toujours dramatique, avec des services publics dégradés, des taux de chômage qui dépassent les 40 % chez les jeunes,de très grandes difficultés d'accès à l'emploi sur fond de discriminations permanentes et l'accélération d'une école de la république à deux vitesses, incapable à elle toute seule de pallier tous les échecs économiques et sociaux de trente ans de gesticulation politique.

C'est là le terreau de tous les replis identitaires, de toutes les violences urbaines et de toutes les frustrations sociales, et c'est sur ce terreau qu'il faut agir prioritairement, en France, mais aussi en Europe. Car l'Europe, dont la devise est « unie dans la diversité », est un échelon prioritaire pour résoudre les inégalités territoriales qui ne sont, hélas, pas une spécificité française.

A Londres, à Berlin, le désenclavement et la reconstruction de lien social est un enjeu tout aussi fort qu'en Ile-de-France, à Marseille ou ailleurs. Et réduire les écarts de développement entre les régions, favoriser l'emploi dans les zones enclavées et mener des politiques sociales inclusives figurent officiellement parmi les objectifs de l'UE.

Un certain nombre de dirigeants européens commencent à comprendre que l'austérité et le chômage comme unique horizon pour des millions de jeunes au sein de l'UE constituent un terrible danger pour notre avenir commun. Après Ma 6-T c'est toute notre Europe qui est en train de craquer. Alors plutôt que d'appuyer sur les peurs, d'accentuer toutes les fractures territoriales, semons des graines d'espoir et saisissons toutes les initiatives, comme celle sur l'Emploi des jeunes présentée ces jours-ci par la Commission européenne dans l'indifférence hexagonale habituelle.

Il faut porter un projet global et durable offrant une vision positive de l'avenir, un imaginaire désirable, plutôt que de se contenter tout le temps de plans comptables. Ce sont nos quartiers populaires et leurs habitants qui ont le plus à gagner d'une transformation écologique de la société : rénovation thermique des bâtiments, développement des transports en commun, énergie propre, commerces de proximité, accès à une alimentation saine pour tous, etc. Nous avons entre les mains un formidable outil potentiel vecteur d'insertion sociale pour toutes les personnes en situation de précarité, et l'Europe est l'échelon pertinent avec les moyens et la force de frappe économique pour mener à bien cet immense chantier.

L'Europe comme remède à l'« apartheid » ? Encore faut-il que la classe politique française assume pleinement cela, et y associe les premiers concernés, plutôt que de continuer à bricoler avec les quartiers pour faire de la com' et tester ses velléités d'autorité.

Intervention de la Commission Transnationale EELV par Françoise Alamartine.

Il m'a semblé impossible d'intervenir sans faire référence à la dramatiques actualité de ces derniers jours qui n'est, évidemment, pas sans rapport avec la situation internationale.

Pour nombre de commentateurs, cet événement marque l'irruption de la guerre sur le sol français. Pourtant, bien entamée depuis longtemps ?

 

En1991, la 1ère guerre du Golfe est déclarée, approuvée par les médias et ce qui deviendra Charlie Hebdo 1 réapparait avec en Une la phrase de Jaurès « Guerre à la guerre ». Du jour au lendemain, des élèves d''un Lycée professionnel ( LP) d'un quartier populaire de Paris, deviennent ces « arabes », vilipendés par les médias , appartenance qu'ils n'avaient jamais revendiquée jusqu'alors. Et Sadam Hussein qu'ils jugeaient être un dictateur sanguinaire se transforme en héros.

Un quart de siècle plus tard, la stigmatisation, les discriminations se sont amplifiées, le racisme anti-arabe s'est transformé en anti-Islam. Et les guerres se succèdent.

 

Mais elles ne sont pas toujours militaires.

 

Avec la mondialisation la « Guerre économique » dénoncée par Viviane Forester, s'accentue et se conjugue avec la guerre écologique.

 

Lors du Contre Sommet des Peuples qui s'est tenu à Lima en parallèle à la Cop 20, en Décembre dernier, les communautés indigènes, venues en nombre de toute la région, dont beaucoup de femmes, ne disaient pas autre chose. Pour elles, le réchauffement climatique est déjà tangible, provoquant sécheresse et violentes précipitations sur un éco-système déjà fragile, menaçant leur agriculture et leur territoire . Au Pérou, deux glaciers ont déjà disparu, réduisant d'autant les ressources hydrauliques.

 

Mais pour les peuples autochtones d'Amérique Centrale ou du Sud, s'ajoute la destruction de leur environnement par l'extension incontrôlée de l'industrie extractive ou de l'agriculture industrielle mettant en péril leur survie même. On le sait, une bonne partie du continent, et spécialement l'Amazonie, recèle de nombreux minerais, en plus du pétrole, convoités par les multinationales nord-américaines ( particulièrement canadiennes), chinoises mais aussi, dans une moindre mesure, européennes.

 

Bien sûr, ces industries prédatrices ne profitent pas aux populations, ou si peu. Mais alimentent nos besoins et ceux des pays dits émergents, les sociétés énergivores exigées par notre modèle productiviste et consumériste. Sirènes auxquelles résistent majoritairement les indiens défendant la « Pachamama », la Nature, préférant un « Buen Vivir » à la consommation sans limite. Pour eux, la 1ère mesure contre le réchauffement climatique, c'est l'arrêt des exploitations minières ou agroalimentaires.

 

Effet pervers, d'ailleurs, de notre consommation « bio » : on a tant vanté les bienfaits du Quinoa, céréale traditionnelle de l'altiplano, que l'agriculture industrielle s'en est emparée, mettant en danger sa culture familiale, indispensable à leur alimentation. On connaît aussi les dérives des palmiers à huile, remplaçant les cultures vivrières en Amérique centrale, ou les agrocarburants dans le cône sud. Sans parler des OGM...Car si au Guatemala, les communautés indigènes alliées aux mouvements écologistes sont parvenus à faire abroger une loi autorisant les OGM, c'est l'inverse qui se passe dans d'autres pays.

Ces industries de rente poussent les gouvernements au double discours, comme en Bolivie, producteur de soja transgénique1 ( pour le bétail européen) et 2ème réserve de lithium au monde ou encore en Équateur.

 

C'est là encore le problème du pouvoir des multinationales et de la « dette écologique » qui est posé, de notre transition énergétique et des compensations que doit prendre en compte la COP21.

 

C'est aussi ce que subit l'Afrique depuis tant d'années. Là aussi, l'exploitation des ressources bat son plein avec la complicité des oligarchies. Après le Burkina, où la mobilisation de la population a chassé le dictateur ( au profit de l'armée dont on ne sait pour le moment les projets), le Gabon a connu il y a peu des manifestations importantes mais fortement réprimées contre Ali Bongo2, le dynastique président des « biens malacquis ». Ce qui ne l'a pas empêché d'être au 1er rang de la manifestation pour la liberté d'expression aux côtés de Fr. Hollande.

 

Et que dire du Moyen Orient ? Les guerres qui l'ensanglantent ne sont-elles dues qu'à des questions religieuses et à la folie destructrice d'islamistes terroristes ? Comment oublier que cette région a connu des guerres successives, dont tout le monde savait, au delà de la propagande, que ses réserves en pétrole en étaient la véritable cause ? Pourtant, cette richesse n'irrigue pas la société, la pauvreté règne et fait le terreau des groupes islamistes tels Daech3.

 

Nous - nos sociétés, nos économies- ne pouvons pas nous dédouaner de nos responsabilités passées et futures dans la situation de crise que traverse le monde. Il ne s'agit pas de battre notre coulpe, il s'agit de faire preuve de l'indispensable lucidité que nous nous devons d'avoir en tant qu'écologistes. Nous ne pouvons pas nous en laver les mains tel Ponce Pilate.

 

Françoise Alamartine – Janvier 2015. Paris

 

1 Les ogm devraient en principe disparaître peu à peu, ainsi en avait décidé la loi. Mais les terres appartenant à des multinationales et dégageant une rente confortable ralentissent fortement son application.

 

2 http://transnationale.eelv.fr/2014/12/24/gabon-eelv-denonce-la-repression-et-soutient-laspiration-du-peuple-gabonais-a-la-justice/

 

3 Voir l'historique présenté par FR Sarkis dans le numéro de Planète verte sur le site de la commission Transnationale

https://transnationale.eelv.fr/wp-content/blogs.dir/76/files/2014/10/Planete_Verte_oct14_OK.pdf

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